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Hanoucca, une publication “pudique”

Dernière mise à jour : 13 déc. 2021

Article écrit par Dan Dray, pour Pilpoul

Hanoucca, fête d’instauration rabbinique, marque les événements survenus autour du 2e siècle avant notre ère par le peuple juif, confrontés dès la fin du IVe siècle aux assauts de la civilisation grecque dite “héllénistique”.


La Judée va ainsi subir la domination grecque à partir de 332 av., et notamment celle de la dynastie des Séleucides à partir de 198 av., dirigée par Antiochus III, puis par son fils, Antiochus IV.

Antiochus IV décrète en 168 av. une hellénisation complète de la Judée, décidant d’y effacer toute trace du judaïsme, interdisant notamment l’observation de 3 commandements de la Torah :

  • La célébration de la nouvelle lune (Rosh Hodesh),

  • La pratique de la circoncision,

  • L’observance du Chabbat.


Dans ce contexte, les réactions de la population juive sont diverses :

  • Certains juifs hellénisants acceptent les décrets,

  • D’autres se sauvent en Egypte,

  • La dynastie des Hasmonéens organise la résistance juive.


Elle est menée par le Cohen Matatyas, fils du Cohen Gadol Yohanan. Il meurt un an plus tard, après avoir transmis le commandement des troupes à Juda, son 3e fils.

Le surnom Maccabée sera donné à Juda : Il viendrait du mot hébreu Makav (marteau), qui symboliserait la vigueur avec laquelle Juda frappait ses ennemis. C’est également le sigle d’un extrait de la Chirah (Exode XV, II) : מי כמןך באלים הי.

On donna souvent à Juda et ses frères le nom de Maccabim (ou Maccabées en français).


Plusieurs livres ont recensé la victoire des Maccabées sur les Séleucides, notamment le 1er livre des Maccabées (écrit en hébreu entre 175 et 135 av. J.-C mais qui fut perdu, la seule version restante étant la traduction en grec). Ces livres relatent l’histoire de la guerre des Maccabés contre les grecs, mais il est à noter qu’ils ne font jamais mention du miracle de la fiole d’huile.


On peut également citer des livres d’origine rabbinique, et notamment :

  • La Meguilat Ta'anit, une œuvre pharisienne probablement rédigée au début de l'ère commune, attribuée à Hanania ben Hizquia ben Gourion.

  • La Meguilat Antiochus, composée en araméen entre le Ier et le Ve siècle de notre ère. Le texte a été inclus dans plusieurs Bibles médiévales et livres de prières. Dans certaines synagogues italiennes médiévales, le rouleau était lu publiquement à Hanoucca, tout comme le livre d'Esther est lu à Pourim, et fait encore partie de la liturgie dans certaines communautés juives yéménites.

Néanmoins, un constat est frappant : Aucun de ces livres n’a été retenu par les sages dans le canon biblique.


A ce propos, il est dit dans la guemara Yoma (29a) :

א״ר אסי למה נמשלה אסתר לשחר לומר לך מה שחר סוף כל הלילה אף אסתר סוף כל הנסים והא איכא חנוכה ניתנה לכתוב קא אמרינן


"Rav Assi a dit : Pourquoi Esther est-elle comparée à l’aube ? C’est pour t’apprendre que de la même façon que l’aube marque la fin de la nuit, Esther marque la fin de tous les Nissim (miracles)”.


Puis la guemara rétorque immédiatement : “Et que fais-tu de Hanoucca [qui, on le sait, est bien considéré comme un miracle par les sages] ?”.


Réponse : “Quand Rav Assi a parlé de miracles, il ne parle que de ceux qui ont été donnés à être écrits”.


Il y a donc un véritable schisme pour les sages entre deux types différents de miracles. Les miracles pour lesquels a été produit un écrit qui est retenu, et celui de Hanoucca, qui, bien qu’étant considéré comme tel, n’a pas d’écrit ayant été retenu par les sages.


Cette question de la non-retenue d’un des textes cités plus haut demeure très énigmatique.

Mais plus encore peut-être, lorsque l’on se penche sur ce qui semble, selon les sages eux-mêmes, être le point essentiel de la pratique de Hanoucca, à savoir la publication du miracle, donnée par l’expression araméenne “פִּרְסוּמֵי נִיסָא”.

En effet, si le but, ou l’un des enjeux majeurs de la fête de Hanoucca tout du moins, consiste à rendre public et bien visible aux yeux de tous ce miracle de la guerre remportée sur les grecs, comment expliquer qu’aucun écrit le relatant ne soit retenu ?

Pour appuyer cet étonnement, on pourrait citer la fête de Pourim, qui présente également cet enjeu de publication, et dont la lecture du rouleau d’Esther en public a précisément cette fonction (Voir dans le traité Meguila 18a, qui précise que même celui qui ne comprend pas la lecture du texte de la meguila est acquitté, car en demandant à ceux qui le comprennent autour de lui, il sera mis au courant du miracle ayant eu lieu à Pourim).


En nous penchant sur quatre lois de l’allumage des bougies de Hanoucca, nous tenterons d’éclaircir cette notion, afin d’en apprendre plus sur le sens et les enjeux de celle-ci, dans le contexte de cette fête.



1. Le Ner de Hanoucca n’a pas besoin d’être rallumé s’il s’est éteint


La fête et les lois de Hanoucca sont introduites dans le traité Chabbat, au début du second chapitre. Ce dernier traite des huiles avec lesquelles il est autorisé ou non d’allumer le Ner de Chabbat.

Le Ner de Chabbat est appelé “נֵר בֵּיתוֹ”, la “lumière de la maison”, par les sages.

Ce Ner a en effet la particularité d’avoir pour but d’être utilisé pour faire vivre sa maison : Éclairer les repas que l’on va déguster le soir du chabbat, et d’une certaine manière, représenter ce que l’on va appeler “la paix du foyer”, c’est à dire apporter une certaine lumière, une certaine qualité et une certaine beauté dans les relations familiales.

En conséquence, pour allumer cette lumière qui doit resplendir dans toute la maison, on se doit d’utiliser un certain type d’huile/de mèches. Les huiles n’ayant pas une qualité suffisante sont ainsi disqualifiées, car en raison du fait que ce Ner va être utilisé dans la maison, on craint que si l’huile utilisée soit de mauvaise qualité, on en vienne à pencher ce Ner pour qu’il consomme mieux l’huile, et ainsi risquer de l’éteindre, et ainsi d’enfreindre cet interdit pendant chabbat.


Ceci étant posé, la guemara dans Chabbat 21a-21b énonce 3 avis divergents concernant l’utilisation des huiles impropres à l’allumage du chabbat, en vue d’allumer le Ner de Hanoucca.


En conclusion de cette discussion, il ressort que l’on peut utiliser ces huiles à Hanoucca, que ce soit pour l’allumage pendant la semaine, ou pendant le chabbat qui tombe dans les 8 jours de Hanoucca, car :

  • Le Ner de Hanoucca n’a pas besoin d’être rallumé s’il a été éteint. Ainsi, il est possible d’utiliser les huiles de qualité moindre pendant la semaine, car on ne craint pas que le Ner s’éteigne du fait de la qualité de l’huile, et qu’il faille le rallumer.

  • Il est interdit d’utiliser ce Ner, contrairement à celui du chabbat. D’où nous déduisons qu’il n'est pas problématique d'utiliser ces huiles de qualité moindre pendant Chabbat (sans l’utiliser, on n’en viendra pas à le pencher et donc à risquer de l’éteindre).


Une objection est faite à partir d’une Beraïta, qui nous enseigne que la mitsva doit être faite depuis le coucher du soleil “jusqu’à ce que les gens quittent le marché”.

Ce à quoi la guemara répond que cette durée représente deux choses :

  • Un intervalle d’allumage, le plus tôt étant le mieux mais que si l’on n’a pas allumé au coucher du soleil, on allume quand même tant qu’on est dans l’intervalle,

  • Une durée potentielle d’allumage (soit une quantité d’huile à prévoir, pour que le Ner dure au moins 30 minutes).


La discussion sur le rallumage de cette bougie montre bien que tous ne s’accordent pas par rapport à cette notion de publication.

Les avis semblent diverger sur la question suivante :

  • Est-ce qu’il suffit d’avoir rendu visible le fait que je fais la mitsva pour appeler cela une publication (même si elle s’éteint juste après) ?

  • Ou bien est-ce qu’il faut qu’il y ait une effectivité temporelle (l’installation de la mitsva dans une durée effective et non pas juste théorique) pour que cela s’appelle une publication ?


Très étonnement, c’est la première proposition, qui va le moins dans le sens d’une publication “concrète”, qui est retenue comme halakha. Nous avons ici le 1er aspect “pudique” de cette publication.



2. Le Ner de Hanoucca doit rester le plus proche possible de mon seuil


Plus bas (sur la même page 21b), on nous enseigne que l’on doit allumer son Ner “au seuil de sa porte, à l’extérieur si possible, ou à l’intérieur” (en temps de persécution).

Rachi insiste de façon étonnante :


מִבַּחוּץ. מִשּׁוּם פִּרְסוּמֵי נִיסָא וְלָא ברה״ר אֵלָּא בַּחֲצֵרוֹ שבתיהן הָיוּ פְּתוּחִין לֶחָצֵר


"A l’extérieur” : Le Ner doit être placé à l'extérieur du fait de la publication du miracle, mais pas dans le domaine public. Seulement dans sa cour (les maisons étant ouvertes aux cours extérieures à l’époque).


En page 22a, Rabba enseigne que le Ner de Hanoucca sera placé à une poignée (10 cm) du seuil :

אָמַר רַבָּה נֵר חֲנוּכָּה מִצְוָה לְהַנִּיחָהּ בַּטֶּפַח הַסְּמוּכָה לִפְתֹּחַ


Ce à quoi Rachi s’empresse à nouveau de préciser :

מצוה להניחה - בחצר או ברה"ר בטפח הסמוך לפתח שאם ירחיקנו להלן מן הפתח אינו ניכר שבעה"ב הניחו שם:


“Il est nécessaire de placer”. Le Ner de Hanoucca dehors ou dans le domaine public à un Tefah (10 cm) de l’entrée car si l’on s’éloignait de l’entrée, il ne serait pas reconnaissable que c’est le maître de maison qui a déposé ce Ner de Hanoucca


En conclusion, on voit bien ici que cette action concerne l’homme dans sa demeure.

Au point que les sages insistent sur la distance qui doit rester minimale entre ce Ner et ma maison.

Pour publier ce miracle en particulier, il doit donc être visible et reconnaissable que c’est moi, maître de maison, qui ait allumé cette bougie.


A nouveau, la publication aurait largement gagné à être plus exposée ! Pourquoi vouloir à ce point en restreindre la portée, si le but du “Pirsoum” est que le miracle soit connu ? Les sages semblent vraiment vouloir aller à contre-courant de l’idée de publication.



3. C’est avec mes propres ressources que je dois allumer le Ner de Hanoucca


Nous nous penchons désormais sur un nouvel enseignement, en page 23a du traité chabbat :

אָמַר רַב שֵׁשֶׁת אַכְסְנַאי חַיָּיב בְּנֵר חֲנוּכָּה א״ר זֵירָא מֵרֵישׁ כִּי הֲוֵינָא בֵּי רַב משתתפנא בפריטי בַּהֲדֵי אוּשְׁפִּיזָא בָּתַר דִּנְסִיבֵי אִיתְּתָא אֲמִינָא הַשְׁתָּא וַדַּאי לָא צְרִיכְנָא דְּקָא מדליקי עָלַי בְּגוֹ בֵּיתָאי

Rav Sheshet dit :”L’invité a l’obligation d’allumer le Ner de Hanoucca”. Rabbi Zera répond : “Au début, lorsque j’habitais chez Rav, je me joignais à la mitsva en donnant des pièces à mon hôte”. Une fois marié, j’ai dit : “Maintenant, il est certain que je n’ai plus besoin [de participer à l’allumage là où je suis quand je ne suis pas chez moi], car on allume pour moi chez moi !”.


Ce passage nous enseigne que, contrairement à ce que l’on aurait pu croire, la mitsva ne consiste pas uniquement en l’acte d’allumage. Les moyens avec lesquels cet acte est effectué comptent également.

En effet, si je suis invité, je dois participer financièrement à l’allumage (en payant une partie de l’huile avec laquelle mon hôte allume). C’est donc avec mes propres ressources que je dois faire cet acte.

Cela renforce à nouveau l’idée suggérée par l’enseignement précédent, selon lequel le Ner de Hanoucca me concerne en tant qu’individu, m’incombant même quand je ne suis pas chez moi.

Publier le miracle de Hanoucca semble bien être le signe du fait que j’ai, de mes propres moyens, allumé cette lumière.

Et non pas juste, comme le terme nous semblait le suggérer, que cette lumière soit visible aux yeux du plus grand nombre.



4. La publication du miracle aux yeux des passants


Toujours dans le traité chabbat (23a), on énonce la loi suivante :

אָמַר רַב הוּנָא חָצֵר שֶׁיֵּשׁ לָהּ ב׳ פְּתָחִים צְרִיכָה שְׁתֵּי נֵרוֹת (ואמר) רַבָּא לָא אֲמַָרַן אֵלָּא מִשְּׁתֵי רוּחוֹת אֲבָל מֵרוּחַ אַחַת לֹא צָרִיךְ מ״ט אִילֵימָא מִשּׁוּם חֲשָדָא חֲשָׁדָא דְּמַאן אִילֵימָא חֲשָׁדָא דְּעַלְמָא אֲפִילּוּ בְּרוּחַ אַחַת נַמִּי לִיבָּעֵי אִי חֲשָׁדָא דִּבְנֵי מָתָא אפי׳ מִשְׁנֵי רוּחוֹת נַמִי לֹא לִיבָּעִי לְעוֹלָם מִשּׁוּם חֲשָדָא דִּבְנֵי מָתָא וְזִימְנִין דְּמִחַלְּפִי בְּהַאי וְלָא חַלְפֵי בְּהַאי וְאָמְרִי כִּי הֵיכִי דִּבְהַאי פִּיתְחָא לֹא אַדְלִיק בְּהַךְ פִּיתְחָא נַמִי לֹא אַדְלִיק


Rav Huna a dit : « Si une cour possède deux ouvertures, il faut deux lumières de Hanoucca. (Et) Rava a dit: "Cela n'a été dit que s'ils sont de deux côtés différents. S'ils sont du même côté, ce n'est pas nécessaire”.

Quelle est la raison? Si c'est à cause de soupçons (Si une personne voit une fenêtre sans lumière, elle peut soupçonner le propriétaire d'avoir négligé la mitsva) , de qui vient ce soupçon ?

  • Si c’est le soupçon d'étrangers, alors même avec 2 ouvertures du même côté, on devrait allumer 2 fois (Une personne venant d'une autre ville pouvant penser que la cour fait face à deux maisons séparées).

  • Et si le soupçon qui nous préoccupe est celui des gens de la ville, il est également inutile d’allumer des 2 côtés (Ils savent que les deux appartiennent à la même maison).

En fait, c'est à cause de la méfiance des citadins. Parfois, ils peuvent passer d'un côté et pas de l'autre et dire : De même qu'il n'a pas allumé à cette porte, il n'a pas non plus allumé à cette porte.


Ce texte présente un enseignement assez difficile à saisir, à savoir que le soupçon potentiel des habitants de sa propre ville est à prendre en compte quant à l’allumage du Ner de Hanoucca.

En effet, au cas où les habitants ne passeraient que d’un côté de ma maison, et qu’il s’agisse de celui qui ne présente pas la lumière de Hanoucca, ils seraient amenés à penser que le 2e côté de ma maison n’est pas allumé non plus.


On doit donc, par précaution, allumer des deux côtés, pour prévenir ce risque de soupçon.

Cela n’est pas sans nous rappeler la problématique de l’interdit de Marit Ayin (littéralement “l’interdit de l’apparence”), que nous avons étudié à Pilpoul le mois dernier avec Emmanuel Bonamy.


En effet, ici, c’est le regard du passant qui va, à l’image du cas de Marit Ayin, définir si j’ai bien fait ou non la mitsva d’allumer le Ner de Hanoucca. Le problème n’étant ici pas de faire croire à un acte interdit, mais bien de laisser penser que je n’ai pas publié le miracle.

Et laisser penser que je n’ai pas publié le miracle, c’est, selon Rava et Rav Huna, l’objet d’un soupçon qui me contraint à changer ma manière d’agir.


Ce passage reste difficile quant au fait que, de toutes façons, plusieurs autres facteurs pourraient faire croire que je n’ai pas allumé le Ner de Hanoucca, comme nous l’avons vu plus haut :

  1. Si le Ner de Hanoucca s’éteint, je n’ai pas besoin de le rallumer (Pourquoi la vue d’une lumière éteinte n'a-t-elle pas l’air , elle, de déranger les sages ?),

  2. Je ne suis pas tenu d’allumer le Ner dès la tombée de la nuit, bien que des gens pourraient passer et ainsi, me soupçonner d’avoir oublié

  3. Le Ner n’est censé tenir que pour une durée de 30 minutes. Après cette durée, il pourrait être éteint et provoquer les mêmes soupçons.


Pour tenter de résoudre ces difficultés (qui restent néanmoins importantes), nous allons essayer de définir un peu plus précisément l’interdit auquel ressemble ce problème de soupçon (ici le soupçon d’un manquement à son obligation de publication), à savoir Marit Ayin (qui vient du soupçon d’une action illicite).


En effet, nous avons appris que le problème du regard de l’autre n’est pas tant de son côté (ce qu’il voit), mais bien plus de ce que, de mon côté, je donne à voir de mon action.

Autrement dit, aucune action ne peut être définie indépendamment de la portée sociale qu’elle a, de ce qu’elle renvoie aux yeux de celui qui pourrait la voir.

Il n’est donc nul besoin d’être effectivement vu pour transgresser Marit Ayin. Ce qui est à prendre en compte se passe au moment où je fais mon action (ainsi, peu importe que le Ner soit vu éteint après que je l’ai allumé).

Ce moment où, dans le cas du Marit Ayin, je fais une action qui fait indéniablement penser au fait que je transgresse (ou que cette action suit une autre au cours de laquelle j’ai transgressé), c’est celui-ci qui est essentiel pour déterminer si l’action que je fais est juste ou non.

Le fait-même de me voir en train d’agir de telle sorte que socialement, ce que je fais “ne passerait pas” et serait interprété comme une transgression, doit me faire repenser ma manière d’agir. Si mon geste témoigne d’autre chose que ce que j’ai l’intention de faire, cela crée une ambiguïté qui, même de mon point de vue, est problématique.

L’exigence que je dois avoir vis-à-vis de moi-même doit me pousser à faire attention à ce que l’acte que je réalise signifie bien ce que j’ai l’intention de faire. Or, cette signification ne m’appartient pas, elle est pour une grande partie définie par l’aspect social que porte mon acte, par ce à quoi il renvoie.


On peut donc peut-être expliquer ainsi le problème de n’allumer qu’à une de mes deux fenêtres (qui donnent sur deux orientations différentes).

En n’allumant que d’un côté, je laisse volontairement l’autre orientation éteinte, et de la sorte, une “maison habitée par un juif” va paraître éteinte.

En faisant cet acte de n’allumer que d’un côté, je condamne automatiquement l’autre côté à montrer une image de moi selon laquelle je ne publie pas le miracle de Hanoucca. Et c’est le moment précis où j’allume d’un côté et pas de l’autre qui détermine le manque dans mon acte, pas le fait que des passants vont, dans les faits, voir le fait que j’ai allumé uniquement à une de mes deux ouvertures.

Pour résumer, le soupçon (ou le cas de Marit Ayin) semble enseigner que ce qui compte, ce n’est pas tant ce qui est réellement vu de mon action, mais bien ce que je donne à voir de mon acte lorsque je le fais. Pour être quitte de la publication du miracle de Hanoucca, il faut donc qu’il ait été possible de voir que j’ai bien pris en compte le fait que ce Ner doit être allumé et visible de l’extérieur dans chaque demeure juive.

Quand on se replace dans un contexte ou une bonne partie des juifs étaient hellénisés, et ne pratiquaient donc plus les mitsvots, cette mitsva vient peut-être renforcer la distinction que doit avoir le juif qui résiste et continue de garder les commandements d’avec celui qui cède sous la contrainte grecque.



5. Une explication possible : L’aspect “pudique” du Ness de Hanoucca


A ce stade, nous comprenons mieux de quelle publication parle l’allumage de Hanoucca. Il s’agit en effet non pas de montrer aux yeux du plus grand nombre qu’un allumage a été effectué pour le publier, mais bien de donner à voir, à l’entrée de chez moi, le fait que j’ai, par mes propres ressources (ma propre huile, même dans le cas où je suis invité), allumé ce Ner, prenant ainsi soin de bien témoigner lors de mon acte que je publiais cette chose précisément qui s’appelle le Ness de Hanoucca.

Il n’en demeure pas moins que cette publication paraît étonnamment minimaliste, comme nous l’avons démontré aux travers de divers enseignements.


Pour tenter d’amener une piste de réflexion à cette problématique, penchons-nous sur le passage où la guemara va définir ce qu’est le Ness, le miracle de Hanoucca, en page 21b :

מַאי חֲנוּכָּה דְּתָנוּ רַבָּנַן בכ״ה בְּכִסְלֵיו יוֹמֵי דַחֲנוּכָּה תְּמַנְיָא אִינוּן דִלָא לְמִסְפָּד בְּהוֹן וּדְלָא לְהִתְעַנּוֹת בְּהוֹן שֶׁכְּשֶׁנִּכְנְסוּ יוונים לַהֵיכָל טִמְּאוּ כָּל הַשְּׁמָנִים שֶׁבַּהֵיכָל וּכְשֶׁגָּבְרָה מַלְכוּת בֵּית חַשְׁמוֹנַאי וְנִצְּחוּם בָּדְקוּ וְלֹא מָצְאוּ אֶלָּא פַּךְ אֶחָד שֶׁל שֶׁמֶן שֶׁהָיָה מוּנָח בְּחוֹתָמוֹ שֶל כֹּהֵן גָּדוֹל וְלֹא הָיָה בּוֹ אֶלָּא לְהַדְלִיק יוֹם אֶחָד נַעֲשָׁה בּוֹ נֵס וְהִדְלִיקוּ מִמֶּנּוּ שְׁמוֹנָה יָמִים


“Qu’est ce que Hanoucca ? Les sages nous ont enseigné : Le 25 du mois de Kislev sera le 1er des 8 jours de Hanoucca, pendant lesquels on ne fait pas d’oraison funèbre ni de jeûne, car lorsque les grecs ont pénétrés dans le sanctuaire, ils ont impurifiés toutes les huiles qui s’y trouvaient, et lorsque la dynastie des Hasmonéens s’est rebellé et les a vaincu, ils ont cherché, et n’ont trouvé qu’une seule fiole d’huile (pure) qui était déposée dans le sceau du grand prêtre, et il n’y avait dans cette fiole assez d’huile que pour un seul jour. Un miracle a été fait, de telle sorte qu’ils puissent allumer à partir de cette seule fiole pour huit jours”.



On remarque, comme rappelé plus haut, que la victoire guerrière est ici rappelée très furtivement, comme s’il s’agissait d’un simple détail, et non pas du véritable miracle.

En effet, le texte se penche bien plus sur la trouvaille de cette fameuse fiole d’huile pure, en donnant même sa localisation de façon étonnamment précise. Détail pour le moins surprenant, dont va se saisir Rachi pour expliciter un peu plus ce miracle :


Rachi :

בחותמו - בהצנע וחתום בטבעתו והכיר שלא נגעו בו:


“Dans son sceau”. Pudiquement, et scellée dans sa bague, ce qui montre qu’ils n’ont pu l’atteindre [les grecs, afin de l’impurifier elle-aussi].


Rachi met en lumière ici le fait que cette fiole ait été retrouvée intacte car elle était, nous dirons, discrète, pour traduire au mieux. A l’intérieur du sanctuaire, elle se trouvait scellée dans la bague du grand prêtre, soit un lieu très difficilement atteignable. Mais pas invisible pour autant. Et c’est cela, le fait qu’elle ait été si difficilement atteignable, bien qu’encore visible, dans l’intériorité par excellence du temple, qui est considéré par les sages comme ce qui permet le véritable miracle.

Revenons un instant sur ce terme de Ness : Tel que présentée ici, cette histoire semble nous enseigner qu’un ness, un miracle, n’est pas forcément à définir comme un événement surnaturel, mais que le mot de נס présente peut-être un lien plus fort encore avec le terme ניסיון (épreuve), dont il est la racine.

Car en effet, ici, les Hasmonéens sont mis à l’épreuve. L’épreuve de trouver (malgré la domination grecque, l'hellénisation d’une bonne partie du peuple, l’impurification de toutes les huiles du temple) les ressources nécessaires pour atteindre cette fiole, ce dernier espoir de rallumer la Ménorah du temple.

Acte qui, si on en rappelle la symbolique, est ce qui donne la lumière, la splendeur, à la torah elle-même.

(Voir Meguila 17a, qui cite Michlé 6:23 pour enseigner que le mot תורה a un lien avec le mot אורה, car il est dit : ‘נר מצוה ותורה אור’ : “Le Ner/bougie est le commandement, et la Torah est la lumière”)


Cette capacité de rallumer la lumière du temple, même après que le grec l’ait éteinte, n’est pas sans nous rappeler l’enseignement selon lequel c’est avec mes propres moyens que je dois allumer la lumière de Hanoucca, et dans ma propre maison.

Ainsi, l’aspect “pudique” de cette publication apparaît désormais comme un symbole.

Symbole qui rappelle que, même dans ce contexte de domination par le grec, dont le but n’est pas de tuer le juif, mais bien de faire du juif un grec (de l’assimiler), il ne reste qu’un moyen pour résister. Et ce moyen, c’est le symbole de la fiole et sa discrétion qui nous le donne. Si la fiole avait été visible aux yeux de tous, elle aurait, elle aussi, été impurifiée. De la même manière, si je pense que publier une victoire sur l’assimilation grecque est un acte ostentatoire, j’ai toutes les chances de retomber dans les mains du grec.


Les sages nous enseignent ainsi que ce n’est pas la victoire guerrière qui est à retenir, car celle-ci n’empêche pas les mauvais lendemains de revenir, et le temple de se retrouver détruit de nouveau (est-ce une des raisons pour laquelle les écrits n’ont pas été retenus ?).

La seule chose qui peut perdurer, c’est la lumière de l’enseignement singulier qui fait la particularité du peuple juif, qui le distingue du grec assimilateur de l’époque.

Et ce qui le distingue du grec ici, c’est justement sa capacité à ne pas chercher à s’imposer face à lui, à ne pas lui imposer sa lumière. Une lumière imposée à l’autre, pour les sages, perd tout son éclat.

On pourrait citer le verset 17 du 8e chapitre d’Esther, où, après avoir renversé Haman, qui avait voulu les exterminer (physiquement, cette fois-ci), les juifs exerçaient une telle crainte sur leurs ennemis que certains d’entre eux sont allé jusqu’à se convertir, “par peur”, précise le verset. Voilà peut-être le contre-exemple de ce que Hanoucca nous enseigne.


A Hanoucca, les sages s’appuient sur la symbolique de la fiole retrouvée pour transmettre ce qui semble être le message essentiel à la conservation de la vertu du peuple juif : Publier l’idée d’une résistance à toute forme d’assimilation. Une résistance qui, pour combattre cette assimilation, se devra d’être discrète, pudique, à l’image de cette lumière présente en chaque foyer juif.

C’est, d’après l’étude que nous venons de faire, ce qui semble être représenté par l’aspect pudique de cette publication du miracle.



 

Références :

  • Introduction historique tirée de Juifs et Judaïsme (de -700 à +70), Marianne Picard

  • Sources d'étude : TB Chabbat (21b, 22a, 22b, 23a)



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