2024
Où commence l'interprétation?
Intervenant: Emmanuel Bonamy
Date: Décembre 2024
Il y a dans l’interprétation un geste paradoxal. Lorsqu’on dégage quelque chose du texte, un sens, un enseignement, une règle, on prétend à la fois trouver quelque chose qui se trouve dans le texte lui-même et qui en même temps va au-delà, sans quoi l’interprétation ne serait qu’une lecture servile et inutile. On le sait, la tradition interprétative (Torah orale) construit ses développements en les fondant sur les anomalies du texte révélé (Torah écrite). Les répétitions, les expressions superflues, les irrégularités syntaxiques et lexicales, sont ainsi lues comme ce qui dans le texte fait sens au-delà de la lecture première. Mais une question, à la fois simple et redoutable, se pose alors : selon quels critères décide-t-on que tel mot est en trop, que telle expression est anormale ? Selon quelle norme et quel horizon d’attente ? Cette question nous permettra d’entrer au cœur de la logique interprétative, et nous amènera à nous interroger sur ses fondements.
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Peut-on acheter une femme? Ou la valeur de l'argent dans le traité Kidouchin
Intervenant: Ivan Segré
Date: Novembre 2024
La première michna du traité Kidouchin enseigne qu'une femme est "acquise" de trois manières : Par de l'argent, un contrat ou un rapport charnel.
Que l'écriture puisse sceller une alliance, c'est immédiatement compréhensible; de même, qu'une femme soit "acquise" par un rapport charnel, on en comprend la signification.
En revanche, que signifie qu'une femme est acquise au moyen d'une somme d' "argent" ? Est-ce à dire qu'elle est un "bien" en circulation sur le marché des échanges au même titre qu'un autre "bien", animal, fruit ou objet ?
C'est la question que nous tâcherons de clarifier à partir de l'étude d'un passage du traité Kidouchin lors des 3 prochains lundis.
Ke’ilou – Sur la place du «comme si» et des apparences dans la Halakha et la Théologie Juive
Intervenant: David Kausz
Date: Octobre 2024
Les temps qui courent sont marqués par une certaine idéalisation de la transparence, corrélative d’un regard défavorable porté sur toute forme de paraître. De nos jours, « jouer un rôle » et « faire comme si » peuvent pratiquement être considérés comme des insultes.
La loi juive, en revanche, fait une place remarquable à diverses formes de ke’ilou, « comme si » : qu'il s'agisse du principe de ma’arit ‘ayin, selon lequel une chose en principe permise devient interdite parce qu’elle ressemble à une chose interdite ; des fictions juridiques (ha‘aramot) à travers lesquelles, au contraire, une chose qui en principe est interdite est autorisée à condition que l’on la fasse comme si on faisait une autre chose ou encore des rapprochements visuels et sémantiques faits entre deux principes afin de mettre en exergue l’importance de l’un des deux ; etc.
Outre cela, à quelques reprises, nous sommes enjoints au paraître. Nous devons jouer manifestement un rôle et faire « comme si ».
Dans ce cycle d'étude, nous examinerons plusieurs occurrences de ce phénomène. Nous nous intéresserons non seulement à leur fonctionnement technique et juridique, mais également à leurs implications théologiques.
Comment décrire la relation de l’homme avec le divin lorsque celle-ci semble marquée par le semblant ?
Comment faire pour que notre Tefila marche?
Intervenant: Jérôme Benarroch
Date: Septembre 2024
Invoquer que la prière puisse "marcher" c'est la considérer comme un réel dialogue avec le Tout-puissant, au-delà d'une parole vaine ou d'un simple culte du cœur codifié pour remplacer les sacrifices. Pourtant, nous sommes tous confrontés à une réalité troublante: nos prières ne sont pas automatiquement exaucées. Est-ce dû à l'absence d'un véritable interlocuteur ? À l'inconsistance de nos demandes ? Ou y a-t-il des raisons plus profondes ?
À travers l'étude de plusieurs passages tirés du traité Berakhot, nous examinerons quelques clés élaborées par nos Sages, susceptibles de rendre compte de réponses favorables du Créateur. Nous découvrirons que la Tefila est avant tout une épreuve de vérité, conjonction du désir et de la justice. C'est à ce nouage que la prière astreint: éclairer une vérité.
Faut-il continuer à appliquer un décret dont la raison originelle est devenue obsolète ?
Intervenant: Emmanuel Bonamy
Date: Juillet 2024
Il existe un principe halakhique stipulant que toute règle instituée par des sages ne peut être annulée que par une nouvelle décision, d’autorité équivalente, prise par des sages. Ainsi une takana – une institution rabbinique – dont la raison d’être serait devenue caduque continuerait pourtant à faire force de loi tant qu’un beit din ne l’aurait pas formellement annulée. Selon ce principe, la règle instituée ne saurait s’effacer, pour ainsi dire, d’elle-même devant la nouveauté des circonstances.
Faut-il y voir la simple expression de la fonction conservatrice du droit, et la garantie du pouvoir rabbinique ? Nous étudierons comment la guemara (Beitsa 4b-6a) déploie le mécanisme et les fondements de ce principe pour tâcher d’y voir plus clair dans la délicate articulation entre l’autorité de la règle, sa raison d’être et sa mise à la épreuve du temps.
Hazaka: réalité physique vs réalité halakhique
Intervenant: Rav Shmouel Mortchelewicz
Date: Juin 2024
La ‘Hazaka. Habituellement traduit par "présomption", ce terme traverse la Torah de long en large. De la cacherout à l'acquisition de terrains, de la Toum'a à la Braha des tsitsit, de nida à chehita, chaque sujet a sa Hazaka. Dès qu'un doute apparait, on appelle la Hazaka. Il en existe différentes formes : on présume que les choses n'ont pas changé ou au contraire qu'elles ont changé depuis longtemps ; on peut aussi se passer de titre si on établit une Hazaka etc.
Nous allons nous intéresser à l'une d'entre elle, certainement la plus classique : la Hazaka dite demeikara, d'origine. Cette dernière implique que "toute situation est supposée se maintenir en l'état jusqu'à preuve du contraire". Cette affirmation pose, évidemment, de nombreuses questions : Pourquoi en serait-il ainsi ? Les choses changent par nature, et qui plus est, si on a de bonnes raisons de se poser la question, comment tenir une telle affirmation ? Et puis, au fond, qu'est ce qui est maintenu en l’état ? Est-ce la situation matérielle ou simplement la considération halakhique ? Si nous optons pour cette seconde alternative, est-ce que cela sous-entend que la halakha ne serait pas imbriquée dans la réalité ?
Le protocole de la chehita implique de nombreux recours aux lois du doute. Nous étudierons dans massekhet 'Hulin 9a une souguia très spécifique sur un détail du geste du cho’het : la vérification post che'hita. Au fil de la Guemara nous verrons émerger différents mécanismes et d'apparentes incohérences dans la logique de la Hazaka. Par le biais d'une étude minutieuse du texte du talmud et de certains de ses principaux commentateurs, nous poserons la question du réel au regard de la Torah.
Peut-on acquérir une chose qui n'est pas encore advenue au monde? (Kidouchin 62a-63a)
Intervenant: Ivan Segré
Date: Mai 2024
C'est une question qui traverse le Talmud et qui fait notamment l'objet de la michna et de la guemara en Kidouchin 62a-63a. Le problème posé est celui du type d'existence qu'il convient de reconnaître à ce qui n'existe pas encore mais est en voie de l'être. En langage philosophique, plus exactement aristotélicien, cela se formulerait ainsi: il y a ce qui existe en puissance et ce qui existe en acte. La question serait alors: peut-on acquérir ce qui n'existe qu'en puissance ? Autrement dit, est-ce que ce qui n'existe pas encore peut être considéré, à certains égards, comme déjà là? Il sera donc question, lors de ces trois séances, d'appréhender la manière dont le Talmud aborde un problème éminemment métaphysique.
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L'éducation
Intervenant: David Scetbon
Date: Avril 2024
L’éducation est un sujet rebattu, traité sous tous ses angles autant par les psychologues que par les conférenciers ou les rabbins. Mais pour autant les textes talmudiques qui l’abordent peuvent constituer une source d’un regard renouvelé sur ce sujet : y a-t-il réellement un devoir d’éduquer un enfant ? Quelle en serait la source ? En quoi cela consiste ? A qui cela s’adresse-t-il ? Nous tenterons d’aborder ces questions avec le moins d’a priori possible et de mettre au jour les originalités de la vision talmudique de l’éducation.
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La partie pour le tout de la Torah
Intervenant: David Lemler
Date: Mars 2024
Qu’ont en commun le shabbat, la circoncision, les tsitsit, le fait d’habiter en Eretz Israël, le renoncement à l’idolâtrie, l’étude de la Torah et la générosité (gemilut hasadim) ? Il est dit à propos de chacune de ces mitzwot, pratiques ou dispositions morales, hétérogènes, qu’elles « équivalent à toute la Torah ».
Un tel énoncé semble aller à l’encontre de la logique la plus élémentaire : comment la partie pourrait-elle équivaloir au tout auquel elle appartient ? Est-ce que, par ailleurs, cela ne revient pas à rendre l’ensemble des autres commandements superflus ?
Alors que le Talmud tend habituellement à traiter les différents sujets de manière locale, en les séparant au moins initialement de l’ensemble, c’est une compréhension d’ensemble de la Torah qu’il propose en déclarant ces mitzwot « métonymiques ».
On tâchera de dégager l’enjeu de ces considérations partiales sur le tout de la Torah, à partir de quelques-unes de ces mitzwot.
Ref. : Sifri Bamidbar, 111, 1; TB, Shevu‘ot 29a-b; Talmud de Jérusalem, Nedarim, III, 8 (13b).
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Get, transferts de biens, libération d'esclaves : Quels critères rendent un contrat valable ?
Intervenant: Dan Dray
Date: Février 2024
Les contrats et leurs témoins/signataires jouent évidemment un rôle central pour la validation de transactions, mais aussi de mariage, divorce, de libération d’un esclave...
Et les nombreuses règles nécessaires pour les rendre valides dans ces différents cas sont là pour nous rappeler que derrière leur aspect formel, ils sont avant tout l’illustration d’un enjeu existentiel entre les personnes.
Nous aurions tendance à penser que pour qu’un contrat soit validé, il faut à minima que ses signataires soient des juifs “Casher”, avec tout ce que ce mot a d’ambigu.
La Sougia que nous étudierons (Guittin 10a-b) nous montrera que c’est loin d’être aussi simple, et que même des juifs auxquels on ne fait pas nécessairement confiance, les Samaritains (Koutim), sont bien aptes dans certains cas à signer des contrats.
Nous commencerons par étudier quelques passages qui nous éclairerons sur cette secte des Koutim et le rapport qu’ont les sages du Talmud à eux, afin de saisir la tension qui apparaîtra dans la Sougia.
Son étude patiente nous permettra ensuite de mieux comprendre à qui les sages font confiance, sous quelles conditions, et pour quelle raison.
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Qu’est-ce qu’être vraiment désœuvré ? Etude sur le mouqtsé
Intervenant: Emmanuel Bonamy
Date: Janvier 2024
On le sait, le jour du shabbat, tout travail est interdit. Par travail, on entend une melakha, une œuvre, soit la transformation intentionnelle et finalisée de l’état du monde. La sainteté du jour s’exprime donc, d’abord, par l’abstention volontaire de toute œuvre, pour profiter du monde tel qu’il est. Mais dans la mesure où la logique du travail imprègne notre existence, il est tout sauf naturel d’être véritablement désœuvré. Chaque objet se présente à nous, sans même que nous en ayons conscience, comme une chose à utiliser ou à transformer, selon l’usage habituel des jours de la semaine. Si notre rapport au monde est à ce point conditionné, si notre désir même nous pousse irrésistiblement à des occupations laborieuses, comment obtenir ce détachement libérateur qui définit le shabbat ?
Pour répondre à cet impératif, les Sages ont inventé une catégorie d’interdits désignée par le terme de mouqtsé, qui signifie littéralement « écarté ». Il s’agit d’une abréviation de la formule « écarté de l’esprit depuis l’entrée de shabbat. » De quoi s’agit-il ? En pratique, on a l’interdiction de déplacer certains objets, ustensiles ou matériaux dont l’usage est incompatible avec le repos shabbatique. Ceux-ci sont considérés comme « écartés » de notre esprit, comme si leur existence même était mise en suspens, pour mieux libérer la nôtre de leur emprise. Devenant indisponibles, ils nous rendent à notre disponibilité.
L’analyse de la logique à l’œuvre dans l’élaboration de l’interdit de mouqtsé permet ainsi une formidable plongée dans les méandres de notre esprit en prise avec les objets les plus quotidiens. Nous chercherons, par l’étude de plusieurs cas, à comprendre cette logique.